Biographie

L'inspecteur (1889-1908)

En novembre 1889, Edgar Tinel fut désigné par le Gouvernement comme inspecteur des écoles de musique de la partie flamande du pays. Il assuma cette fonction pendant 18 ans tout en restant directeur de l'Institut Lemmens. Outre le prix qu'il estimait devoir attacher à l'enseignement vocal, la technique instrumentale le préoccupait vivement. A ce moment, il acheva un recueil de 6 mélodies écrites à des époques diverses. De l’opus 38, Zes Liederen, nous avons l’enregistrement de la 4ème mélodie, « Du bist wie eine Blume », Tu es comme une fleur, de la 5ème, « Am Kreuzweg wird begraben », Au carrefour est enterré, sur des paroles de Heinrich Heine (poète Allemand du 19ème siècle). Tout ce que l’humaine compassion a de spontané et d’attendri se reflète dans la fleur bleue qui pousse sur la tombe du malheureux qui a succombé au désespoir. La 6ème : « Dein Angezicht zo lieb und schön », Ton visage si aimable et si beau, encore sur un texte de Heinrich, ce visage, ces lèvres, ces yeux qui avaient tant de séduction et de charme, les voilà touchés par la mort, et c’est pour le musicien l’instant de traduire la détresse des désespérés qui ont dit adieu à la chaude douceur des années de jeunesse. Deux autres recueils de six mélodies également furent achevés durant cette même période : l’op. 40 et 42. De cette époque datent aussi plusieurs œuvres liturgiques telles que l'Alléluia op. 23, le VIe Psaume op. 27 et le XXIXe Psaume op.39.

Les années 1890-1892 furent remarquables pour leur production : le Cantique de Première Communion op. 24, Cantique pour Soprano ou ténor solo, chœur à quatre voix égales ou mixtes et orgue sur une Poésie française de Mme Edgar Tinel dédiée aux enfants Tinel; le traité théorique : Le Chant grégorien. Théorie sommaire de son exécution et la Messe à cinq voix pour N.D. de Lourdes op. 41. Plusieurs maîtres belges et étrangers on fait entendre cette Messe dont les harmonies suppliantes ont retenti sous les voûtes de Sainte-Gudule aux funérailles du Roi Albert en février 1934. C’est un chef-d’œuvre de la polyphonie vocale et de la musique religieuse. Publiée le 11 août 1892, elle fut cependant interprétée, dans des circonstances solennelles, à la Cathédrale de Tournai le 17 (Pâques) et 18 avril 1892. Loin de l’écriture de Palestrina, mais par son modernisme même et l’originalité de sa réalisation, la Messe à cinq voix eut l’importance et la portée d’un programme. Elle fut comprise, discutée, critiquée et exaltée comme telle.

La composition et le succès de Franciscus invitèrent Tinel à écrire d'autres œuvres du genre. Son choix se porta sur Sainte Godelieve, sainte fort populaire en Flandre. Elle lui inspira, à travers le texte néerlandais de Hilda Ram, un drame musical où la scène prend toute son importance; commencée en octobre 1892, l'esquisse de l'œuvre, op. 43, fut achevée en février 1894; sa première exécution eut lieu le 22 juillet 1897 et rehaussa, au Palais du Cinquantenaire, les fêtes de l'Exposition de Bruxelles. Alexandre Glazounov, de passage à Bruxelles, avait assisté à une des répétitions à la Monnaie et fut émerveillé de tant de beauté accumulée en une œuvre… Cette œuvre fut également exécutée à l'étranger (à Milwaukee aux États-Unis, à Bochum, en Prusse, …) mais le succès resta considérablement en deçà de celui que rencontra Franciscus. L'auteur en souffrit cruellement car pour lui "Godelieve ne sera appréciée que de longues années après ma mort. C'est ce que j'ai fait de mieux."

Après Godelieve, ce fut Sainte Catherine d'Alexandrie qui incita le compositeur à écrire un nouveau drame musical Katharina op. 44, commencée le 4 octobre 1899, l'esquisse fut achevée en mai 1902. Le 28 mai 1908, il écrit « j'ai achevé lundi les nuancements de Katharina , …. Le dernier trait de plume donné, j'ai mélancoliquement fermé le livre et l'ai déposé dans mon coffre fort ». Il n'est pas étonnant non plus que Tinel ait choisi cette sainte comme héroïne de l'une de ses maîtresses composition. Son nom, en effet, était cher au compositeur : celui de sa mère et celui de la sainte patronne de son village natal. La première exécution eut lieu le 27 février 1909 à la Monnaie. Ce fut un événement, et à coup sûr, le plus gros événement théâtral de la saison. Dix-sept salles, remplies jusqu'aux bords, telle une coupe d'enthousiasme, saluèrent l'œuvre qui rompait avec les données habituelles de la scène. En avril-mai 1930 la Monnaie reprit l'œuvre à l'occasion du centième anniversaire de l'indépendance nationale. Accédant au plateau symphonique, l'ouvrage fut monté à la Konzert-Geselschaft de Crefeld. Quatre cents exécutants avaient été réunis sur l'estrade de la Stadthalle et l'affluence était telle que l'on dut fermer les guichets et organiser une seconde audition. L'auteur assistait à cette solennité, qui ne lui procura aucune joie. La flamme en lui était éteinte; brisé sous la fatigue d'un labeur inlassablement poursuivi, il avait prématurément senti le progrès des ans. Amertumes et grands soucis, des nerfs constamment irrités, une santé délabrée avaient fait de lui un vaincu. Dans les dernières années de sa vie, il apparaît comme un foudroyé du sort. Il se mourait à lui-même et était descendu dans les mornes domaines du crépuscule.

Trois ans auparavant, Tinel avait à son actif une tâche supplémentaire : il avait succédé au Conservatoire de Bruxelles à son professeur d'harmonie et de contrepoint H.F. Kufferath. Il y a enseigné les "hautes mathématiques » de la musique jusqu'en 1912. Entre temps, Tinel fut chargé par le gouvernement d'écrire le Te Deum jubilaire pour le 75e anniversaire de l'indépendance de la Belgique. Il fut exécuté à Sainte-Gudule le 21 juillet 1905. Il s'agit de l'op. 46, chœur à 6 voix, orgue et orchestre. Ce fut la seule œuvre liturgique qu'il conçut avec orchestre. Le 15 octobre 1906, un hommage imposant fut rendu à Edgar Tinel. En effet, depuis 25 ans il dirigeait l'École de musique religieuse de Malines, l'Institut Lemmens. Les dernières années à Malines furent marquées encore par quelques œuvres : le Cantique nuptial, écrit le 25-26 avril 1902, sur un poème de Mme Edgar Tinel, porte le n° d'opus 45. L'œuvre est conçue pour ténor solo ou soprano, orgue sans pédale, et harpe ou piano. Elle fut exécutée le jour de mariage de Melle Emma Empain et de M. E. Harmant, le 22 mai 1902. Et sa dernière œuvre : le CLe Psaume op. 47, écrit en 1907 à l'occasion de l'entrée solennelle du Cardinal Mercier à Malines. En séance du 10 janvier 1907, Edgar Tinel, déjà membre de l'Académie, était élu vice-directeur de la Classe des beaux-arts. En 1908, il en devint le directeur, puis fut élu Président de l'Académie Royale de Belgique. Il y prononça son célèbre discours sur un sujet qui lui tenait tant à cœur : "Pie X et la musique sacrée". Le célèbre historien Pirenne a écrit : "c'est le premier président qui sait parler, se faire entendre et se faire écouter."