L'année suivante, le compositeur entreprit son œuvre maîtresse : l'oratorio Franciscus op. 36, inspiré du livret de L. De Koninck sur la légende de Saint François d'Assise. Il termina l'œuvre pour soli, chœur, orgue et orchestre, au début de l'année 1888; elle fut exécutée pour la première fois le 22 août 1888 à Malines en présence de nombreuses personnalités belges, laïques et ecclésiastiques, comme Pierre Benoit, Jan Blockx, Eugène Ysaye, pour ne citer que les artistes et obtint le plus grand succès. Le jour même de son exécution, Tinel reçut par l'entremise du Cardinal Goossens la croix de Saint-Sylvestre conférée par S.S. Léon XIII.
Trois jours après l'exécution, Tinel fut nommé Chevalier de l'Ordre de Léopold et fut reçu par le roi Léopold II qui lui réserva le plus cordial accueil. L'œuvre connut d'ailleurs plus de mille exécutions dont un grand nombre à l'étranger : Amsterdam, Berlin, Cologne, Leipzig, Francfort, Breslau, Würzbourg, Aix-la-Chapelle, Düsseldorf Hanovre, Zürich, Londres, Cardiff, Liverpool, Manchester, Copenhague, Budapest, Prague, Baltimore, Boston, Cincinnati, … En 1893, à Francfort : "… Mais après le chœur final, ce fut bien mieux encore. L'auteur, rappelé plus de vingt fois, est obligé de donner lui-même le signal du départ, sinon personne n'eût quitté la salle. Rien ne saurait donner une idée de ce triomphe inouï, ni de la spontanéité et de la durée des ovations. Jamais un musicien ne subjugua à ce point notre public blasé, captivant tous les cœurs, enchaînant toutes les intelligences par le prestige de son génie." Ainsi, parla la Tägliche Rundschau.
Le Conservatoire de Liège en donna trois exécutions. J. Th. Radoux, directeur de l'établissement, fit à l'auteur l'honneur de lui céder le bâton directorial. C'est le ténor Ernest Forgeur, mort en 1926 à Liège, qui chanta le rôle de François. Le 18 septembre 1895, à Cardiff, Tinel conduisit les répétitions et l'audition publique au milieu d'un enthousiasme délirant. Au chœur final, tout le monde était debout, ce qui n'a lieu que pour le God save the King et l'Alléluia du Messie.
En 1885, Tinel entreprit un voyage à Lourdes (22 mai au 6 juin). Ce pèlerinage lui inspira deux séries de lieder religieux flamands sur des poèmes de Guido Gezelle extraits des Kleengedichtjes : Zes Geestelijke Gezangen op. 33 (Chants Spirituels), six chœurs a cappella pour quatre voix mixtes, deux de cette série furent écrites avant son départ et les quatre autres à son retour de Lourdes et Zes Marialiederen op. 34, six chœurs a cappella pour quatre voix mixtes. Cette deuxième série fut écrite à Lourdes même (29 mai-2 juin). Une troisième série, faisant partie, avec les deux précédents, du Cycle-Gezelle, fut écrite à la fin de cette même année (11-24 décembre) : Vier Adventsliederen op. 35, quatre chœurs pour quatre voix mixtes avec accompagnement de piano. Ces trois séries font partie des neufs œuvres vocales a capella et avec accompagnement de piano dont j’ai parlé cité plus haut. Les Marialiederen 6, humbles chants, constituent peut-être la partie la plus pure, la plus spontanée de l’œuvre mystique de Tinel. Ces six chants riches de substance et épurées de réalisation, forment, avec une sérénité soutenue, la qualité spécifique d’un mysticisme sans angoisse, de pur amour, d’idéale pureté de cœur. D’une autre nature est le mysticisme des Geestelijke Gezangen et des Adventsliederen. C’est l’un des traits du mysticisme de Tinel de communiquer à la musique l’acuité douloureuse et lancinante de la meurtrissure du corps. Le cycle-Gezelle, en son quatrième chant des Adventsliederen, se clôt par un acte de foi.
Le Prélude de Franciscus est bâti autour des deux thèmes principaux de l’œuvre et peut de ce fait être considéré comme une synthèse symphonique de l’oratorio. Le Prélude s'ouvre solennellement sur le thème de l'apologie de Poverello. Les trompettes et les cuivres, soulignés par l'ensemble de l'orchestre, font solennellement s'envoler le thème à trois reprises jusqu'au ciel. A un point d'orgue succède, sur un tempo légèrement plus rapide, le thème de la pauvreté qui sera développé plus amplement et que le hautbois incarne à merveille. Selon un schéma classique, Tinel juxtapose et superpose les deux thèmes contrapuntiquement sur une pédale de tonique. Les deux autres morceaux sont des extraits de la fin de la 3ème partie : « La mort de Saint François ». Le dernier cri de Saint François « j’arrive » est aussitôt suivi par le chœur des femmes exprimant les douces et apaisantes voix angéliques. Dans le dernier extrait, le chœur final chante l’éloge de « la pauvreté qui tissa l’habit de gloire pour Saint François brisant ainsi l’orgueil inné dans notre cœur, ... ».