Biographie

Malines (1881-1889)

En janvier 1881, mourut Jacques Lemmens fondateur de l'Institut qui porte son nom. Edgar Tinel, à sa grande joie, recueillit sa succession. Un premier apport que Tinel légua à cet Institut fut une rénovation de la méthode d'enseignement du contrepoint et de l'harmonie. J. Lemmens ne les entendait que diatoniques; Tinel apporta donc la connaissance de leur fonction chromatique qu'il tenait spécialement de ses études approfondies sur J.-S. Bach.

Il organisa une série d'auditions-examens publics de musique polyphonique et instrumentale. Sa fonction de directeur l'invita à composer un répertoire liturgique. L'entreprise du compositeur fut aidée par la Société Saint-Grégoire fondée en 1880 et par son organe : la revue Musica Sacra. A Malines, mis à part deux motets dont la mélodie originale empruntée fut enrichie d’un accompagnement d’orgue où se révèle sa science précoce du contrepoint, les premières compositions de Tinel, pénétré de la sévère polyphonie des contrepointistes anciens et de leur religiosité furent les Trois motets en l'honneur de la Sainte Vierge, pour quatre voix mixtes et orgue, qui formèrent son op. 31 (1884) et sa Sonate pour orgue op. 29.

L'Orgue ( Part. 1 )

Les œuvres composées pour l'orgue se limitent en fait à deux : un Improvisata en ut majeur, sans numéro d'opus, et une Sonate pour Orgue en sol mineur, op. 29.

Bien qu'écrite plus tard, parlons de la première. L'Improvisata, un Andantino, fut écrit en 1894 pour un instrument avec deux claviers et pédale. Il est conçu comme une fugue libre. Bien qu'il développe un riche chromatisme et module constamment, il évolue toutefois dans une atmosphère de quiétude et de retenue. Ce n'est pas, à proprement parler comme la sonate pour orgue, une œuvre prévue pour l'exécution en concert; elle est destinée à l'organiste catholique et remplit plutôt un rôle fonctionnel dans le service liturgique. Tinel composa cet Improvisata comme une contribution originale à l'album d'Adolphe Gessner Auswahl Kirchlicher Orgelcompositionen älterer und neuerer Meiste" (H. Beyer, Langensalza) publié en 1896. En 1906, cette composition fut en outre reprise dans la collection Orgelstücke moderner Meister qui fut éditée par Johannes Diebold (0. Junne, Leipzig/ Schott Frères, Bruxelles). Elle répond parfaitement aux propos tenus par Gessner dans la présentation de son Auswahl kirchlicher Orgelcompositionen : "Aucun sentiment de plaisir musical ne doit naître dans l'âme des croyants, mais une intensification du sentiment religieux et la participation la plus profonde à l'acte religieux.

La Sonate pour Orgue en sol mineur, qui se signale par la solidité de la structure et l'élévation de la pensée, a été composée en 1884-1885 et éditée en 1887 par Breiltkopf & Härtel à Leipzig. Ce fut à l'occasion de l'inauguration du nouvel orgue de l'Institut Lemmens, le 7 août 1886 qu'en fut donnée l'exécution-princeps. Celle-ci fut confiée à M. Emile De Groote, élève de l'École. Elle est incontestablement une des œuvres les plus parfaites de Tinel, et une des compositions les plus réussies du répertoire de l'orgue au XIXe siècle. En 1888, on lisait dans la revue Der Kirchenchor : "Cette œuvre est saluée dans la musique liturgique et spécialement dans la littérature belge pour orgue comme une innovation extraordinaire". Lorsque F. A. Gevaert, un de ces professeurs, entendit pour la première fois cette sonate, il s'écria : "Cette œuvre est tellement belle qu'après audition on ne saurait plus l'oublier". La sonate comprend trois mouvements : le premier mouvement, Allegro con moto, de facture toute classique mais élégamment élaboré découle directement des sonates de Beethoven. Le thème principal hardi et alerte alterne avec un second thème paisible et plein de retenue.

Le contraste plein d'effet de ces deux thèmes, principalement dans le développement, confère au premier mouvement une profondeur particulièrement dramatique. Le deuxième mouvement, Andante sostenuto, remarquable par sa richesse harmonique et mélodique est un canon à l'octave qui respire la paix profonde des cimes. Le troisième mouvement, le brillant Allegro moderato, déborde de fantaisie. A un début plein de vigueur succède un second thème qui se développe en contrepoint, alternant, il est vrai, avec des passages plus libres. L'impétueux final s'achève solennellement sur les cinq dernières mesures du premier mouvement exécutées larghissimo. C'est fort regrettable de ne posséder de Tinel que cette seule œuvre pour orgue car ce coup d'essai a été un coup de maître. Franz Witt saluait dans cette sonate une des créations les plus parfaites, non seulement du genre, mais de la sonate en général, et il ajoutait que parmi les sonates parues depuis un demi-siècle, la sonate pour orgue de Tinel continuait le mieux la tradition de Beethoven.

En 1883, Tinel assista au festival de musique de Cologne. Il eut la grande joie d'y rencontrer Brahms à qui il fut présenté par Kufferath. Ce fut une véritable révélation pour Tinel qui porta au maître allemand une profonde admiration. Tinel écrivait plus tard à son propos : "Savez-vous que Brahms est gravement malade ! Si celui-là part déjà, c'est un immense malheur pour l'art, car il est l'espoir, le soutien de l'école vraie, saine, sainte …". La même année, une grave maladie atteint le compositeur. Sa guérison inespérée lui inspira un Te Deum en ré majeur pour quatre voix mixtes et orgue, qui constitua son op. 26. Elle fut exécutée pour la première fois à Tournai le 25 juillet 1887.