Dans les Cinq morceaux de fantaisie (Hymne, Joie, Petites fleurs, Ave Maria, Danse des Paysans) de l'op. 14, s’affirme l’intention d’associer la délicatesse d’un paysage, le réalisme d’une scène rustique à l’émotion d’une pensée religieuse. Enfin, La Sonate pour piano à quatre mains en sol mineur op. 15 clôt le groupe d'œuvres pour cet instrument seul. Composée au printemps 1876, elle n'était destinée, ni à devenir une sonate, ni à être écrite pour piano, encore moins pour piano à quatre mains. Elle était primitivement un quatuor pour deux violons, alto et violoncelle. De ce quatuor, il n’en reste rien … que des cendres aux dires de son auteur. Mais, revenons à la sonate ! En plus d’une faculté de développement, elle dénonce une abondance de contrastes dynamiques qui font se succéder des mouvements extrêmement lents à des mouvements d’une volubilité très dégagée. Contraste aussi dans l’ordre de la pensée et du sentiment. Ce qui frappe encore c’est l’homogénéité du style harmonique où les accords s’enchaînent selon les lois du beau et noble jeu lié. Le caractère religieux de l’œuvre apparaît dès l’Andante initial qui contient la cellule harmonique de toute l’œuvre. C’est dans le même sentiment que se déroulent les épisodes d’introduction des première, deuxième et quatrième parties, dans la tonalité fondamentale de sol mineur.
C'est dans le lied avec accompagnement de piano ou d'orchestre, forme que Tinel des années 1874-1879 a cultivée avec autant d'abondance que de prédilection, que la traduction de ses sentiments en présence de la nature, de ses mystères, de ses sortilèges s'opère le plus naturellement et le plus aisément. Outre les opus cités plus haut, on peut en ajouter neuf accompagnés au piano (dont deux achevés en 1891) et quatre avec orchestre. Trois cycles de mélodies sur des textes allemands vont nous en instruire. Ce sont les Sieben lieder und Gesänge, op. 8, les cinq chants choisis parmi les « Schilflieder » de Nicolaus Lenau op. 10 et les Fünf Gesänge op. 11, extraits des Lieder der Sehnsucht du même poète. La recherche d’effets pittoresques, le goût de la description nuancée et la suggestion des images rendue par la coloration du tissu harmonique semblent avoir présidé à l’éclosion de ce triple florilège vocal.
Dans cette période, une œuvre apparaît comme la plus significative et annonciatrice du mysticisme de Tinel. Il s’agit de son opus 12 : Loverkens que l’on pourrait traduire par « petites fleurs des champs ». C’est un cycle de 14 chants d’amour sur des textes du poète allemand Hoffmann von Fallersleben. Ce sont de courts poèmes en dialecte néerlandais ancien qui n’ont que deux, trois ou quatre strophes, mais qui atteignent à une rare intensité de sentiment. C’est la vie intérieure de nos paysages et l’ardeur mystique de gens qui ont conquis l’âme du poète lors d’un voyage qu’il accomplit en Flandre, dans le Brabant et en Hollande. Il y eut entre l’âme de von Fallersleben et les paysages des rapports de sympathie, des correspondances qui vont jusqu’à nous faire éprouver que la nature est en communion constante avec nos mouvements intérieurs. La nature est l’intermédiaire entre le monde de l’âme et des sens et le monde de l’au-delà. Ceci est l’un des phénomènes du mysticisme. Tinel qui est né mystique (aux dires de son plus ardent commentateur : son fils Paul) avait senti tout ce que la musique pouvait ajouter à ces vieux poèmes d’amour, à quel éclairage intérieur elle était susceptible de les soumettre. A travers le voile poétique, ses yeux avaient découvert la pensée de l’au-delà, la nostalgie d’un amour qui ne doit pas finir, qui prolonge celui d’ici-bas et le transfigure. On doit lire et écouter cette œuvre selon les deux principes mystiques : « ab exterioribus ad interiora » et « ab interioribus ad superiora ». Quand, après s’être ému, dans les treize premiers poèmes de son recueil, des choses visibles qui ne sont que l’image affaiblie du monde qui échappe à nos sens, il fait vibrer la corde des suprêmes émotions, c’est-à-dire le sentiment religieux, il est allé du plus intérieur au plus supérieur. L’interlude qui précède la quatorzième mélodie, va assurer ce passage vers cette pieuse et sereine émotion.
Quand, après avoir décrit l'harmonie, je dirais l'euphorie, d'un paysage ensoleillé, le compositeur passe à l'évocation des fleurs de neige qui recouvrent d'un linceul implacable les champs qui lui avaient procuré tant de joie et qu'il gémit de voir mourir ce qu'il aime, il suggère une douloureuse impression de morne délaissement. C'est alors que, dans le Tusschenspel, il reprend le thème à l'aide duquel il caractérisait la tristesse de l'âme à l'aspect des frimas, pour le convertir en substance symphonique, le faire passer par une suite de conduites tonales et rythmiques qui lui donnent un vigoureux relief. Et voici que ces conduites tonales et rythmiques font apparaître un thème nouveau, tout de douceur, de paix ineffable, de sérénité. Ce thème contient le germe d'une aurore nouvelle, d'un état d'âme nouveau. L'atmosphère s'éclaircit et se transfigure; le malaise qui s'emparait de l'auditeur par la répétition inlassable d'un même fragment du thème de la tristesse, s'apaise graduellement pour céder le pas au thème de la sérénité et introduire enfin la dernière strophe.